La lettre (décembre 2025)
Ô Ami-e sur la Voie
Le long de la rivière, de saison en saison tout se transforme, les arbres dépouillés de leurs feuilles ont changé de forme, mais est-ce que leur essence profonde a changé ? Les bosquets et la végétation qui bordent le cours d’eau se sont modifiés, laissant apparaitre un tableau différent, mais la racine de ce tableau a-t-elle changé ? Le paysage alentour s’est métamorphosé, de jour en jour il se renouvelle, instant après instant il se transfigure, ainsi la forme et le fond se conjuguent inlassablement sous nos yeux, ce qui se transforme et ce qui demeure se nouent subtilement sous tes sens.
Ami-e sur la Voie en fais-tu l’expérience ? Essence et existence s’ajustent comme le pied et le chausson, nul besoin de t’attacher au chausson en ignorant le pied, de même nul besoin de t’attacher au pied en faisant abstraction du chausson. Lorsque la rivière coule le pied est en joie de se glisser dans le chausson, aussi tu entres dans le lac sans faire de vague et coïncides avec les eaux, parce que jamais tu n’en as été séparé et à cet instant tu le vis simplement et authentiquement.
Maître Wanshi te rappelle que « dans la poursuite des formes et des sons, on ne peut véritablement trouver la Voie », alors à quoi bon t’attacher au chausson ou collectionner des gammes de chaussures ? A quoi bon additionner souliers, sandales, espadrilles, bottes, sabots, brodequins et mocassins, … si le pied ne peut s’en contenter et y trouve toujours un défaut ou à redire ? « La constance et la joie … sont la source profonde de la réalisation », poursuit le Patriarche, avec cette touche de contentement qui l’accompagne, aussi glisse-toi dans le chausson, accueille la forme et vois le fond, simplement vis cette présence à la Vie, sans rien n’ajouter ni soustraire, coïncide avec Elle comme tu entres dans un lac sans faire de vagues.
« Tout être humain commence son existence en tant qu’être de nature » ; écrit J. Castermane, une nature qui respire, voit, entend, s’assied et marche. La vie en société t’amène à te chausser et te vêtir, à devenir un être social et culturel, un second niveau d’être apparaît qui nécessairement se développe et a son importance ; or faut-il pour autant ignorer ton être de nature ? « … les formes et les sons … » ont leur importance, mais est-il nécessaire de s’y attacher et de s’y identifier ? Sont-ils aussi vitaux que ce qu’il y a de plus intime en toi, le va et vient du souffle ? Ce que nous sommes est déjà, est-il besoin de le devenir, mais c’est notre forme impermanente qui devient en apparaissant et disparaissant, à la manière des saisons qui se transforment, apparaissant et disparaissant, mais l’être essentiel n’a ni commencement ni fin, il demeure dans ce fond sans forme, la joie, la vacuité, le divin ,…
Graf Dürckheim écrivait dans son style que « la transcendance qui nous est immanente, c’est le divin qui nous habite ».
Ami-e sur la Voie, viens au zendo avec tes chaussons, ranges-les avec attention au vestiaire pour les retrouver en sortant et assieds toi en zazen comme tu entres dans un lac sans faire de vagues, prend le chemin le plus simple, vigilance et attention au souffle.
Quand la forme et le fond se fondent
La rivière n’a plus de bord
Elle n’a plus de nom

Comme la lune illumine la nature
Ainsi elle éclaire mon coeur